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2012-08-22T11:35:00+02:00

J'ai dû naître avec (déjà) des lunettes roses !

Publié par Wondermaman


Quand j'étais petite, le monde était déjà magique et merveilleux.

Je me souviens que je prenais mon grand-oncle pour un personnage important - un empereur ou un ambassadeur ou quelque chose dans ce genre - parce qu' il portait un bel uniforme à boutons dorés, une belle casquette, des épaulettes galonnées sur un costume rouge et or qui devait me rappeler celui de l'Empereur François-Joseph dans Sissi.
Mon grand- oncle était portier d'un grand hôtel.

Mon grand-père maternel, lui, était sculpteur sur bois.
Dans mon souvenir, son atelier se trouve au fond d'une cour d'un bel immeuble, une sorte d'échoppe comme on n'en voit plus que dans les vieux films. Là, mon grand-père Louis sculptait "ses petits morceaux de bois". Il était pour moi comme un lutin des contes, dans la pénombre de son atelier, dans sa blouse grise, au milieu de la poussière de bois. Magique. Il sculptait des Quasimodo ou des gargouilles monstrueuses. Peut-être est-ce lui qui m'a donné le goût des diables et des démons des églises. Gepetto de l'ombre et des copeaux, il donnait vie à des créatures étranges que je voyais s'animer.
Sa force m'impressionnait et il portait des poignets de cuir pour protéger ses muscles - je crois que cela s'appelle "des poignets de force" - pour moi, c'était le comble de l'érotisme. J'avais 6 ans.

J'avais 6 ans et je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Je me souviens avoir lu Un bon petit Diable en entier en une ou deux journées le lendemain de mon sixième anniversaire. C'était un cadeau d'une de mes petites camarades invitées. J'ai oublié son nom.
Je lisais tout et n'importe quoi, encouragée par mon oncle Bernard qui me faisait lire à voix haute Zazie dans le métro ou De l'importance du jus de pomme dans le traitement des blessures de coeur.
Je ne comprenais rien, mais je lisais, suscitant sans doute chez mes parents un étonnement un peu inquiet, surtout lorsque j'ai commencé à dire : "et mon cul ..." (comme Zazie, pour voir, mais ça n'a amusé personne ...) ou demandé ce qu'était un diaphragme - n'ayant pas été satisfaite de la réponse de maman qui me montrait le bas des côtes, alors que dans le livre, j'avais bien l'impression que ça se mettait plutôt au niveau du zizi des filles ...

Donc je lisais.
Mon grand-père, lui, lisait des romans de Gérard de Villiers, des genres "OSS" ou "SAS" et ces initiales sur la couverture de livres noirs m'intriguaient, d'autant plus que j'avais entendu mes parents dire que c'était "de mauvais livres" - sans doute pour me protéger de les lire .
 De mauvais livres ? Il y en avait donc de mauvais ? Et donc des bons aussi, forcément ... tout cela  trottinait dans ma tête.
Et puis, mon grand-père lisait "des mauvais livres" ? Lui ? Mon grand-père qui était si gentil  ?
Alors je me souviens avoir fait des efforts désespérés pour l'empêcher de lire, pour qu'il ne fasse pas quelque chose de mal. Il me rabrouait sans comprendre et gentiment amusé : "Laisse moi tranquille ! "
Je trouvai alors un stratagème : il fallait à tout prix lui faire lire des bons livres. Et je me souviens avoir tenté de faire disparaître ses OSS - SAS - qu 'il cherchait en vain - au profit de mes livres de la Comtesse de Ségur ou des contes de Shakespeare.
Plus tard, j'ai persisté.
Lorsque j'avais 14 ans, je voulais lui faire lire Simone de Beauvoir, et lorsque j'étais étudiante, Sartre - en vain.
Echec de ma mission salvatrice et culturelle ...

Sculpteur sur bois, mon grand-père avait les mains rapeuses dont j'ai gardé le goût. Soucieuse de la nécessité de prendre soin de son corps - et en particulier de ses mains - je ramassais au parc des pétales de fleurs, des cailloux, des herbes et des feuilles, je concoctais avec ma petite dînette des mixtures vraisemblablement infames mais que je trouvais douces et parfumées et je lui faisais "la manucure"  pendant qu'il lisait - coup double : soigner ses mains ... et surveiller ses lectures bien choisies  ...
Il me laissait faire patiemment et disait que ça lui faisait du bien, que ses mains étaient beaucoup plus douces.

Plus tard, lorsque mon grand-père fut à l'hôpital Bichat, j'allais le voir après mes cours - j'étais alors en khâgne - et nous faisions une partie de Scrabble - je n'avais pas renoncé à mes prétentions éducatives et culturelles ! -
J'étais très forte au Scrabble. Je m'appliquais à le laisser gagner. Le plus difficile n'était pas de le laisser gagner, mais de le laisser gagner sans qu'il s'en aperçoive. Il fallait que je fasse de temps en temps un gros coup, un "scrabble" ou un "x placé triple" , pour sauvegarder la vraisemblance, et ensuite, patiemment, placer de très petits mots - une lettre - 2 lettres - ou faire un très long et bon mot qui ne rapportât rien ... pour qu'il me rattrape et qu'il gagne, parfois de justesse, à un point, à 10 points .
Il disait : "Je t'ai gagné de peu !"
Je disais : "C'est toujours Papy qui gagne."
Parce que je voulais que ce soit toujours Papy qui gagne, et contre la maladie, et contre la mort.

Parce que "C'est toujours Papy qui gagne" , c'était l'empêcher de mourir.






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