A l'entrée en cours, après installation des élèves et formalités d'usage : appel, annonce des prochains devoirs, rappel des travaux en train ou à effectuer, je pose ma traditionnelle question d'usage :
- Avant que nous commencions le cours, avez-vous des questions, problèmes , interrogations, ou autres préoccupations à résoudre ?
Je fais cela depuis longtemps, depuis que j' ai découvert qu' il est parfaitement inutile de parler de ce que j'ai, moi, prévu, si eux ...ont la tête ailleurs !
- Oui, Madame, ça veut dire quoi "pathétique" ? Est-ce que vous pouvez nous le rappeler.
"Rappeler", effectivement, car j'ai déjà dit une bonne douzaine de fois - et fait noter ! - que le pathétique est un registre utilisé pour exprimer une souffrance.
- Le pathétique est l'expression d'une souffrance.
- Madame, on a parlé avec des élèves des autres classes, et vos collègues, elles n'ont pas dit ça !
- Elles n'ont pas dit ça, mes collègues ? Et elles ont dit quoi ?
- Madame, elles ont dit que le pathétique, c'est fait pour inspirer la pitié !
- ... Ben .... oui, c'est bien ce que j'ai dit.
- Ah, non ! vous, vous avez dit que c'est pour exprimer une souffrance !
Il me faut un certain temps pour expliquer que j' ai dit la même chose que mes collègues - qui ont dit la même chose que moi - mais que je me suis placée du point du vue du locuteur, du narrateur, de l'auteur, du personnage vu par l'écrivain : il exprime une souffrance et que mes collègues se sont placées du point de vue du lecteur, de l'auditeur, du spectateur, ou des autres personnages témoins de ladite souffrance , bref, de celui qui , témoin de cette souffrance, va ressentir ce que mes collègues appellent "pitié".
J'ajoute que je n'aime pas trop le mot "pitié" qui fait "condescendant - et d'expliquer "condescendant" - qui les fait rigoler ... !!! - et que j'aurais plutôt dit "compassion" etc ... etc ...
Silence dubitatif ...
- C'est pas la même chose. C'est pas pareil !
En effet, pour eux, on peut regarder une souffrance, la contempler, en être témoin, et n'éprouver aucune pitié, voire même en rire, et c'est ce qu' ils font tous les jours ... pas eux, pas ceux-là, forcément mais "les autres" ...
Un copain en coma éthylique, ça les amuse , un mec bourré camé qui délire et fait n'importe quoi, ça les fait rire, un animal ou un individu qui grimace ou se tord de douleur, ou qu' on tabasse, ça les fait rigoler, une fille qui crie parce qu'elle se fait violer, la pute ! c'est trop drôle ... pas ceux-là, pas forcément mes élèves à moi, bien sûr ! pas vos enfants ! pas ces petits mignons là, non, mais ... les autres ...
Le "happy slapping" - un mec qui se fait cogner, les autres qui filment avec leur portable, et on se repasse la video, c'est hilarant, non ? pas pathétique .
C'est bien moi qui ai raison, mes collègues sont, elles, de grandes naïves optimistes : le pathétique, c'est l'expression d'une souffrance , et ça n'inspire pas forcément la pitié.