Cours sur Beckett.
Classe de Terminale.
Bon gré mal gré, j'ai réussi à interrompre la partie de "morpions" - ou d'échecs ? - des deux du fond, mis fin à l'envoi de sms de X - qui , du coup, me fait la tête - j'ai déplacé Y au premier rang pour avoir la paix, fait taire - ou du moins réduit à un niveau sonore acceptable, les bavardages des deux élèves de la rangée de droite, décidé d'ignorer résolument (après avoir fait remarquer qu'on a besoin de ses mains pour écrire et prendre des notes ) les douces caresses des deux du milieu , bon, le calme règne sur ma classe ...
Beckett.
Oserai-je prétendre que certains ont même l'air intéressé ?
A propos du titre, Fin de Partie , j'ai expliqué les règles élémentaires du jeu d'échecs, établi des rapprochements - judicieux ! - avec les déplacements des personnages (Hamm, le Roi ? Clov, la Tour, le Fou ? la Dame ? )
On a terminé la biographie de Beckett et cerné le contexte historique de l'oeuvre, j' en suis à expliquer l'existentialisme et l'absurde.
Expliquer l'absurde, quand-même ... ce qu'il ne faut pas faire quand on est prof ! ...
Et oui, l'homme est responsable de ses choix, de sa vie, libre, et engagé, et il est ce qu'il fait !
Personne n'ayant rien dit, j'ai de moi-même fait remarquer que "c'est tout le contraire de chez Pascal !"...
On en est à la condition humaine irrationnelle et tragique, "absurde".
Comme "ils " sont calmes, j'ai même laché le mot "ontologie".
Et là, le miracle se produit : un doigt se lève "Madame, je n'ai pas très bien compris "ontologie"..."
Je suis aux Anges ! y en a au moins une qui suit ! et de remarquer combien la question est pertinente, vu que justement, je n'ai pas encore expliqué, et que, quand-même "ontologie", on ne dit pas ça tous les jours !
"L'ontologie est la partie de la philosophie qui s'applique à l'être en soi, indépendamment de ses déterminations particulières ."
Silence atterré.
Reconnaissant que "c'est pas facile" , je pars à expliquer que c'est "ce qui fait que je suis moi, indépendamment de mes caractéristiques propres : je suis une femme, j'ai tel âge, tel physique, telle culture, tel caractère, telles aspirations, je suis un être humain .... et bien, qu'est-ce qui reste de tout cela, qu'est ce qui est mon être , à moi, même du fond de mon lit de grabataire et de mourant ou d' Alzheimer au dernier degré, qu'est-ce qui est moi dans ce corps souffrant et martyrisé ?" .... j'avoue : Fin de Partie, actuellement, je le relis à la Lumière de Mamie et j'essaie d'assurer ma voix pour qu'elle ne tremble pas ...
Une petite voix se fait alors entendre au premier rang : "Un coeur qui bat."
Silence.
Métaphoriquement, elle a raison.
Ce qu'est ontologiquement un être humain, c'est un coeur qui bat.
Y a des jours où ça vaut quand-même la peine d'enseigner !